Juridique,  Obligations Légales

Maladie professionnelle et stress ponctuel : ce que rappelle la Cour d’appel

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La reconnaissance d’une affection psychique en tant que maladie professionnelle constitue une voie souvent poursuivie par les salariés exposés à des contraintes psychosociales (stress, pression, harcèlement, surcharge de travail). Cependant, le droit social impose des conditions strictes — notamment la démonstration d’un lien direct et essentiel entre le travail habituel et la pathologie. Dans cette perspective, la récente décision de la Cour d’appel de Riom, rendue le 30 septembre 2025, vient rappeler que les épisodes de stress ou pressions de courte durée ne suffisent pas, en l’absence d’éléments probants, à fonder une reconnaissance en maladie professionnelle.

Cet arrêt mérite qu’on l’analyse attentivement dans le contexte RH : il souligne les marges de manœuvre du juge, la rigueur exigée dans l’instruction des dossiers et les implications pour employeurs comme pour salariés.


Les faits et la procédure

Le litige porte sur une demande de reconnaissance d’une maladie professionnelle, hors tableau, formulée par un salarié (M. H).

La CPAM, après enquête administrative, avait émis une décision de prise en charge de l’affection invoquée, sur avis favorable du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP).

L’employeur contestait cette reconnaissance devant le Tribunal des affaires de sécurité sociale, puis en appel, soutenant que le lien de causalité allégué reposait sur des expositions ponctuelles, non caractéristiques du travail habituel du salarié.

En appel, la Cour de Riom était saisie (dossier n° 18/01073) et a rendu son arrêt le 30 septembre 2025, confirmant le rejet de la reconnaissance.


Les motifs de la Cour et l’analyse juridique

1. Le critère de la permanence vs l’épisode ponctuel

La Cour rappelle que, pour les maladies non figurant dans les tableaux de maladies professionnelles, la reconnaissance exige la preuve d’un lien « essentiellement et directement » lié au travail habituel. Elle insiste sur le fait que les conditions de travail doivent être celles dans lesquelles le salarié était placé dans le cadre de son activité normale, non sur la base d’un événement exceptionnel ou isolé.

En l’espèce, la Cour juge que les éléments produits ne permettent pas de rattacher la pathologie à une exposition répétée, prolongée ou caractéristique du poste du salarié : les pressions alléguées ou les épisodes de stress ne sont pas démontrés en termes de durée, fréquence ou intensité.

Ainsi, l’idée centrale retenue est que la simple existence de stress ponctuel ne suffit pas, sans qu’il soit démontré qu’il s’inscrit dans le cadre normal et durable des conditions de travail.

2. L’inopposabilité de la prise en charge administrative

La Cour confirme également que la décision de prise en charge administrative (CPAM / CRRMP) est inopposable à l’employeur lorsqu’elle repose sur des éléments insuffisants du point de vue de la preuve du lien de causalité. Même si l’affection a été prise en charge, cela ne vaut pas automatiquement reconnaissance devant le juge judiciaire.

En l’espèce, le dossier ne présente pas de preuves convaincantes (témoignages, expertises, antécédents cohérents) permettant au juge de retenir la relation de cause à effet indispensable. La cour souligne qu’il ne suffit pas de se fonder sur des hypothèses ou des suspicions pour fonder la reconnaissance.

3. L’exigence de pertinence et de qualité des éléments de preuve

Une autre leçon forte de l’arrêt est l’exigence de rigueur dans l’instruction du dossier, notamment quand il s’agit d’affections psychiques ou de pathologies complexes :

Les rapports médicaux doivent être circonstanciés, expliquer pourquoi ils retiennent la cause professionnelle et distinguer les autres facteurs potentiels (éléments extra professionnels, antécédents, fragilités individuelles).

Les témoignages, courriers internes, alertes, correspondances, notes internes sont précieux mais doivent être datés, précis et concordants.

L’expert doit, dans ses conclusions, motiver le lien entre les contraintes du poste (durée, intensité, nature) et la pathologie constatée, ainsi que l’absence de cause alternative plus plausible.

En résumé, la Cour rappelle que le doute profite à l’employeur en l’absence d’éléments probants permettant de fonder la reconnaissance.


Apports, portée et limites

Apports

Clarification jurisprudentielle : Cet arrêt confirme que la jurisprudence demeure vigilante quant aux reconnaissances « psychosociales », surtout quand l’exposition est momentanée ou ponctuelle.

Message aux employeurs et aux services RH : la preuve doit être consolidée (réunir éléments écrits, suivi, alertes internes, chronologie, diagnostics).

Incitation au bon réflexe pour les salariés : en cas de malaise, dès le début, recueillir des éléments (prises de notes, échanges écrits, surnombre de travail, témoignages) qui pourront constituer des preuves ultérieures.

Portée

L’arrêt demeure limité à ses faits : il ne traite pas d’un cas où le stress est constant ou chronique, ni d’un poste structuré par des contraintes de longue durée.

Il renforce l’idée que les pathologies psychiques sont acceptables comme maladies professionnelles, mais dans des conditions strictes.

Il rappelle que la prise en charge administrative n’est pas une « reconnaissance automatique » devant le juge.

Limites / risques de « glissement »

Dans les faits, certains épisodes de pression peuvent être ponctuels mais s’inscrire dans un climat de travail toxique persistant ; distinguer l’exceptionnel du quotidien peut être délicat.

Si la médecine évolue (identification de biomarqueurs, stress chronique validé, lien étayant dans certaines professions), les critères de preuve pourraient évoluer.

Le salarié doit supporter une charge de la preuve lourde, notamment pour les pathologies non figurant dans les tableaux.


Conseils pratiques pour les acteurs RH / juridiques

Pour les employeurs & responsables RH

Mettre en place un suivi rigoureux des alertes internes (diffusion des remontées de stress, entretiens, fiches de charge de travail)

Documenter toute situation de surcharge, tout avertissement, toute remontée de malaise ou de tension

Prendre des mesures préventives : évaluation des risques psychosociaux, actions d’amélioration des conditions de travail

Lors qu’une demande de reconnaissance est formulée : collaborer avec la CPAM, mais aussi engager une veille juridique pour anticiper les contestations

Pour les salariés / représentants du personnel

Dès les premiers signes, consigner les faits (dates, horaires, nature de la pression, correspondances, témoins)

Solliciter des expertises médicales détaillées, évaluant le lien entre conditions de travail et pathologie

Ne pas se contenter d’un avis médical général : exiger qu’il soit motivé et qu’il explicite le lien avec le poste

Anticiper la charge de la preuve : un dossier bien constitué au départ renforce les chances de succès


Conclusion

La décision de la Cour d’appel de Riom du 30 septembre 2025 rappelle, de façon très pragmatique, qu’un stress ou une pression de courte durée ne suffit pas, sauf preuve contraire, à caractériser une maladie professionnelle. La reconnaissance exige un lien essentiel, direct, constant avec les conditions habituelles du poste, et repose sur des éléments factuels rigoureux.

Pour les professionnels RH, cette décision souligne l’enjeu de la prévention, de la traçabilité des signaux de malaise, et de la constitution de dossiers solides si une réclamation est faite. Pour les salariés, c’est un rappel que toute détresse ou malaise ne peut être qualifiée d’office de « maladie professionnelle » sans la preuve circonstanciée de cette relation causale.