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Enquête Interne - arrêt Cass. soc., 18 06 2025 (n° 23-19.022) - Analyse

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Résumé de l’arrêt Cass. soc., 18 juin 2025 (n° 23-19.022)

Le contexte de l’affaire concerne le licenciement disciplinaire d’un cadre (directeur associé) accusé de harcèlement moral et sexuel envers des collègues. Après des signalements internes début 2018 pour propos et comportements déplacés, l’employeur a mené une enquête interne conjointe avec le CHSCT, puis a convoqué le salarié à un entretien préalable et l’a licencié pour faute le 30 mars 2018. Le salarié a contesté son licenciement devant la justice prud’homale, faisant valoir notamment des irrégularités dans l’enquête interne et un refus d’accès à certains éléments (dont ses emails professionnels).

En appel, la cour d’appel de Paris (arrêt du 25 mai 2023) a jugé le licenciement sans cause réelle et sérieuse, estimant que la preuve des faits de harcèlement n’était pas rapportée. Elle a relevé de nombreux défauts dans l’enquête interne : témoignages non corroborés, comptes-rendus d’audition tronqués ou non produits, enquête incomplète, etc. Elle a en outre condamné l’employeur à des dommages & intérêts pour le caractère vexatoire de la rupture et pour violation du droit d’accès aux données personnelles (RGPD) du salarié. L’employeur s’est pourvu en cassation, soutenant que le rapport d’enquête interne démontrait les faits reprochés et qu’il était en droit de ne pas divulguer certains comptes-rendus pour préserver l’anonymat des témoins.

La Cour de cassation, dans son arrêt du 18 juin 2025 publié au Bulletin, a rejeté le pourvoi. Elle affirme d’abord le principe suivant : « En cas de licenciement pour harcèlement sexuel ou moral (...), il appartient aux juges du fond d’apprécier la valeur probante d’une enquête interne produite par l’employeur, au regard, le cas échéant, des autres éléments de preuve ». En l’espèce, la Haute Cour valide l’appréciation souveraine de la cour d’appel, qui avait examiné le rapport d’enquête au regard des autres preuves et conclu que les faits reprochés n’étaient pas établis de façon suffisamment probante, de sorte que le doute devait profiter au salarié. Autrement dit, l’enquête interne – entachée de faiblesses – ne suffisait pas à justifier le licenciement. Par ailleurs, la Cour de cassation confirme que le refus de l’employeur de communiquer au salarié ses courriels professionnels constituait une violation du droit d’accès prévu par le RGPD, justifiant une condamnation spécifique.

Portée de la décision : Cet arrêt consacre des exigences claires quant aux enquêtes internes en entreprise, spécialement dans le contexte des faits de harcèlement. Il rappelle qu’une enquête interne n’est qu’un moyen de preuve parmi d’autres, dont la fiabilité et la complétude peuvent être scrutées par les juges. L’arrêt souligne que plus l’enquête est menée de manière rigoureuse et équitable, plus sa valeur probante sera élevée ; à l’inverse, des manquements dans la conduite de l’enquête peuvent conduire le juge à en écarter tout ou partie des conclusions. Nous présentons ci-après une analyse détaillée des principales exigences dégagées par la Cour de cassation en matière d’enquêtes internes, ainsi que les apports nouveaux de cette décision par rapport à la jurisprudence antérieure, avant d’envisager les implications pratiques pour les employeurs.


Exigences juridiques applicables aux enquêtes internes en entreprise


Respect des droits de la défense et du contradictoire

Droits de la défense du salarié mis en cause : La décision du 18 juin 2025 met en lumière l’importance de respecter les droits de la défense dans le cadre global de la procédure disciplinaire. En droit du travail français, le salarié accusé doit pouvoir prendre connaissance des griefs retenus contre lui et présenter ses observations lors de l’entretien préalable au licenciement (principe du contradictoire dans la procédure disciplinaire). Cela implique notamment que la lettre de convocation précise les faits reprochés et que le salarié ait la possibilité de se défendre lors de l’entretien. Dans l’affaire examinée, le salarié avait bien été convoqué et entendu en entretien préalable, satisfaisant formellement à cette exigence de base.

Absence d’un contradictoire “immédiat” pendant l’enquête : La Cour de cassation rappelle que l’enquête interne, qui précède éventuellement une sanction, n’est pas un procès disciplinaire à elle seule. Par conséquent, l’employeur n’est pas tenu d’associer le mis en cause à l’enquête tant qu’aucune sanction n’est encore prise. La jurisprudence constante considère en effet que le fait de ne pas informer ni entendre le salarié accusé lors d’une enquête interne ne rend pas la preuve déloyale. Autrement dit, pendant la phase d’enquête, l’employeur peut recueillir des témoignages et des éléments sans confrontation immédiate avec l’intéressé, afin de préserver l’efficacité des investigations (par exemple, éviter qu’un harceleur présumé ne fasse pression sur les témoins). Dans l’arrêt du 17 mars 2021 qu’elle cite, la Cour de cassation avait jugé clairement que l’absence d’information et d’audition du salarié mis en cause dans l’enquête interne « ne constituait pas un mode de preuve déloyal ».

Limites et rattrapage du contradictoire : Si les droits de la défense ne s’appliquent pas strictement lors de la collecte des informations (pas d’obligation d’entendre le mis en cause ni de lui divulguer le dossier en cours d’enquête), ils doivent en revanche être respectés ultérieurement. D’une part, si l’enquête aboutit à une sanction, le salarié doit être pleinement informé des accusations (généralement via la lettre de licenciement) et avoir eu l’occasion de les contester lors de l’entretien préalable. D’autre part, en cas de contentieux devant le juge, le principe du contradictoire impose que tous les éléments de preuve issus de l’enquête auxquels l’employeur se réfère soient communiqués au salarié et au juge. Sur ce point, l’arrêt de 2025 est instructif : la cour d’appel reprochait à l’employeur de ne pas avoir versé l’intégralité des pièces de l’enquête aux débats, ce qui privait le salarié de la possibilité de discuter ces éléments. La Cour de cassation approuve implicitement cette analyse – l’enquête ne peut être retenue à l’appui du licenciement que si le salarié a pu en prendre connaissance dans le cadre du procès et exercer pleinement ses droits de défense. En effet, la transparence vis-à-vis du juge et de la partie adverse est une condition de validité de la preuve : un rapport secret ou partiel, dont des éléments seraient cachés à la discussion contradictoire, voit sa force probante considérablement diminuée.

En somme, la Cour de cassation exige un équilibre : pas d’obligation de contradictoire pendant l’enquête interne, mais un respect scrupuleux des droits de la défense aux stades ultérieurs. Le salarié doit, au plus tard dans la procédure de licenciement et a fortiori devant le juge, avoir accès aux éléments sur lesquels l’employeur s’appuie afin de pouvoir les contester. Si ces garanties ne sont pas offertes (par exemple, si l’employeur invoque des témoignages sans les communiquer), la crédibilité et la légalité du résultat de l’enquête s’en trouvent compromises.


Principe de loyauté de la preuve


Loyauté dans la collecte des preuves : Le principe de loyauté de la preuve signifie qu’un employeur ne peut obtenir des éléments à charge par des procédés déloyaux ou illicites (ruse, coercition, atteinte à la vie privée disproportionnée, etc.). En matière d’enquête interne, la Cour de cassation avait déjà admis que certaines pratiques ne constituent pas en soi une déloyauté : ainsi, comme vu ci-dessus, mener une enquête sans en avertir le mis en cause n’est pas un stratagème interdit, mais une méthode admise pour faire la lumière sur des faits de harcèlement. De même, sélectionner les personnes interrogées (par exemple n’entendre que les victimes présumées) n’est pas nécessairement considéré comme une manipulation frauduleuse, dès lors que l’enquête vise à élucider la réalité des faits dénoncés. La Cour veille toutefois à ce qu’aucune violation de la loi ne vienne entacher la preuve : par exemple, un enregistrement clandestin ou une filature illégale pourraient être écartés ou soumis à une analyse de proportionnalité par le juge. Dans l’arrêt du 29 juin 2022, elle rappelait que tant que l’employeur n’a pas eu recours à des investigations illicites, le rapport d’enquête interne est un mode de preuve recevable, sa valeur étant ensuite laissée à l’appréciation du juge.


Loyauté dans la restitution et la présentation des résultats : Au-delà de la façon de recueillir la preuve, la loyauté concerne aussi la manière de la présenter au tribunal. Un élément clé dégagé par la décision du 18 juin 2025 est l’exigence d’une preuve “non sélective” et complète. L’employeur se doit de communiquer intégralement les résultats de l’enquête sur lesquels il s’appuie, sans tronquer ni dénaturer les témoignages. Or, dans cette affaire, la cour d’appel avait constaté plusieurs manquements à la loyauté de la preuve : par exemple, certaines retranscriptions d’entretiens étaient tronquées et expurgées de passages concernant des faits pourtant décrits par les témoins. Le rapport d’entretien de Mme D, notamment, avait été édité de sorte qu’il n’incluait pas certains faits relatés, ce qui ne permettait pas d’établir clairement si elle en avait été témoin. De même, le compte-rendu du témoin M. H comportait des passages caviardés (noms retirés) relatifs à des faits dont on ignorait s’il avait réellement été témoin lui-même. Ces altérations jettent un doute sur la fiabilité de l’enquête : on peut suspecter une volonté de l’employeur de mettre en avant uniquement les éléments à charge et de dissimuler ou minimiser ceux qui seraient favorables au salarié. Une telle sélectivité contrevient au principe de loyauté de la preuve.


La Cour de cassation approuve le raisonnement qui consiste à écarter ou du moins à diminuer la portée d’un rapport d’enquête entaché de tels biais. Elle « donne priorité à l’exigence d’une preuve complète, loyale, non sélective ». Autrement dit, un rapport d’enquête interne ne saurait suppléer l’absence de preuve concrète que s’il est produit de manière intègre et exhaustive. S’il apparaît que l’enquête a été orientée de façon unilatérale (p.ex. seulement des témoins à charge entendus) ou que ses résultats ont été présentés de façon incomplète au juge, ce dernier est fondé à douter de sa fiabilité. Dans l’arrêt, la Cour de cassation souligne que seuls 5 des 14 entretiens menés ont été versés aux débats, sans justification valable, ce qui laissait supposer que les comptes-rendus non produits pouvaient contenir des éléments favorables au salarié ou contredire les griefs formulés. Une telle retenue de preuve, non justifiée par des impératifs légitimes, heurte la loyauté attendue dans la discussion judiciaire.

En résumé, une enquête interne doit être conduite et exploitée avec probité. L’employeur ne peut pas “jouer” avec la preuve à son avantage en escamotant des morceaux du puzzle. Toute manœuvre de dissimulation ou de déformation peut conduire le juge à écarter le rapport pour déloyauté ou, plus souvent, à lui accorder une valeur probante très faible. La décision du 18 juin 2025 insiste ainsi sur une idée forte : un rapport d’enquête partiel ou biaisé n’est pas en soi une preuve suffisante de la faute. Il appartient aux entreprises de veiller à la transmission intègre du dossier d’enquête en cas de contentieux, faute de quoi elles prennent le risque de voir leur preuve rejetée ou minimisée.


Impartialité et objectivité de l’enquête


Choix des enquêteurs et objectivité : L’impartialité de l’enquête est une condition fondamentale pour sa crédibilité. Idéalement, les personnes chargées de la mener doivent être neutres et n’avoir aucun intérêt personnel dans l’issue. En pratique, les enquêtes internes sont souvent confiées soit à la direction des ressources humaines, soit à des membres du comité social et économique (CSE, ex-CHSCT), soit à un cabinet externe spécialisé. La Cour de cassation a admis qu’une enquête menée par la DRH de l’entreprise n’est pas viciée ipso facto par partialité. Par exemple, dans un arrêt du 1er juin 2022, elle a censuré une cour d’appel qui avait rejeté le rapport au motif qu’il avait été conduit par la direction RH et que seuls certains salariés avaient été entendus : pour la Haute Cour, ces circonstances ne suffisent pas en soi à écarter l’enquête comme mode de preuve. La compétence et la bonne foi des enquêteurs sont présumées tant qu’aucun élément concret ne révèle un parti pris.

Exigence d’impartialité vs portée de l’enquête : La jurisprudence récente a nuancé l’exigence d’impartialité absolue en admettant que l’employeur cible ses investigations sur les personnes concernées sans interroger tout le monde. Ainsi, « l’exigence d’impartialité et d’exhaustivité de l’enquête n’est pas nécessairement remise en cause » par le fait de n’entendre qu’une partie des collaborateurs, par exemple uniquement les victimes potentielles du harcèlement présumé. Cela signifie que l’enquête peut être focalisée sur les témoignages jugés les plus utiles (celles et ceux qui déclarent avoir subi ou constaté les faits), sans devoir systématiquement inclure le mis en cause ou des tiers sans lien avec l’affaire, sans que cela soit un défaut rédhibitoire. La Cour de cassation distingue ainsi impartialité et exhaustivité totale : ne pas entendre le mis en cause lors de l’enquête (pour les raisons évoquées plus haut) ou ne pas associer le CSE n’entraîne pas automatiquement une partialité, tant que la démarche reste honnête et orientée vers la manifestation de la vérité.

Partialité avérée : conséquences – En revanche, si des indices montrent que l’enquêteur ou la méthode était partial(e) (par exemple, un enquêteur manifestement en conflit avec l’accusé, ou des questions posées de manière tendancieuse), cela peut entacher le rapport. Dans l’affaire du 18 juin 2025, la cour d’appel avait relevé que les conditions de l’enquête avaient été critiquées de manière similaire par deux témoins ayant participé aux entretiens. Bien que l’arrêt ne détaille pas la nature de ces critiques, on peut imaginer qu’il s’agissait de remarques sur le déroulement de l’enquête (pression indue, manque de neutralité, climat biaisé, etc.). De tels témoignages jettent le soupçon d’une absence d’objectivité dans la conduite de l’enquête. Si, par exemple, des plaignants ou témoins signalent que leurs propos ont été orientés ou que l’enquêteur semblait défendre a priori la thèse de l’employeur, le juge du fond pourra considérer que l’enquête n’est pas fiable.

La décision Cass. soc. 2025 n’établit pas une règle nouvelle en la matière, mais elle illustre l’importance de l’impartialité : dans son examen, la cour d’appel a noté que certains faits rapportés par des témoins n’étaient corroborés par personne d’autre, et que l’enquête n’avait pas cherché d’autres confirmations indépendantes. Un enquêteur impartial aurait pu tenter de recueillir des éléments objectifs ou multiplier les sources, plutôt que de se contenter de déclarations isolées. L’absence de recoupement a pesé dans le doute final.

En pratique, pour garantir l’impartialité, il est conseillé aux employeurs de choisir des enquêteurs expérimentés et neutres (éventuellement externes) et de définir un protocole d’enquête équilibré. La Défenseure des droits, dans ses recommandations de février 2025, a notamment insisté sur la formation des enquêteurs aux questions de harcèlement et sur l’importance d’éviter de confier l’enquête à un service impliqué dans les faits signalés. Même si ces recommandations n’ont pas de valeur contraignante, elles reflètent les bonnes pratiques attendues. Un manquement avéré à l’impartialité pourra conduire les juges à écarter le rapport ou à le relativiser fortement, ce qui revient à priver l’employeur de sa principale preuve.

 

Transparence et intégrité de la procédure d’enquête


Transparence de l’enquête vis-à-vis du salarié et du juge : La transparence, dans le contexte des enquêtes internes, renvoie à l’idée que la procédure ne doit pas être occultée ou mystifiée, surtout une fois qu’on en fait usage pour justifier une décision. Certes, l’enquête interne n’est pas publique et se déroule de manière confidentielle à l’interne, mais ses conclusions et son contenu essentiel doivent pouvoir être exposés clairement si une sanction en découle. La Cour de cassation, dans l’arrêt commenté, insiste sur la nécessaire intégralité de la preuve apportée devant les juges : l’employeur doit jouer cartes sur table en divulguant l’ensemble des éléments de l’enquête sur lesquels il se fonde. Il s’agit d’une condition de transparence procédurale minimale : on ne peut demander aux juges d’accorder foi à un rapport d’enquête partiellement caché. Dans le cas présent, la cour d’appel reprochait à l’employeur un manque de transparence, car seulement une partie des comptes rendus d’audition avait été produite en justice. Cette production fragmentaire a éveillé la méfiance des juges, d’autant plus que l’employeur n’a pas fourni de raison convaincante pour justifier l’absence des autres entretiens. La transparence déficiente (des “zones d’ombre” dans le dossier) a conduit la cour d’appel, avec l’aval de la Cour de cassation, à considérer qu’on ne pouvait exclure que les éléments non divulgués contredisaient la thèse de l’employeur. En clair, s’il manque une partie du tableau, le juge peut légitimement supputer que cette partie manquante n’était pas favorable à l’employeur.

Exigence d’intégralité et de clarté : La transparence implique donc une communication exhaustive et claire des résultats de l’enquête. Tous les témoignages et comptes rendus significatifs devraient être versés aux débats, quitte à être anonymisés si nécessaire (voir section suivante). L’arrêt du 18 juin 2025 apporte ici une clarification importante par rapport à la jurisprudence antérieure : il « impose des garanties minimales de transparence, d’intégralité, et de respect du contradictoire » s’agissant des enquêtes internes présentées comme preuve. Autrement dit, un rapport d’enquête n’est pleinement recevable que s’il est intègre dans son ensemble. Déjà en 2022, la Cour de cassation avait jugé qu’un rapport d’enquête interne est un mode de preuve valable à condition qu’il soit intégralement versé au débat et soumis au contradictoire. L’arrêt de 2025 s’inscrit dans cette ligne et la renforce encore : produire seulement un extrait du rapport ou un simple résumé des conclusions ne suffit pas, surtout si l’on soupçonne que des éléments ont été omis. La cour d’appel a souligné que les conclusions générales de l’enquête, « au demeurant non détaillées », ne pouvaient suppléer l’absence des pièces non produites. Cela signifie qu’une présentation lacunaire ou globalisante ne remplace pas la mise à disposition des détails concrets de l’enquête. La transparence requiert aussi de la précision : par exemple, indiquer quels faits exacts ont été établis ou non, sur quelle base, et ne pas se contenter d’affirmations vagues.


Transparence vis-à-vis des parties prenantes internes : En dehors du contexte judiciaire, la notion de transparence peut également s’entendre vis-à-vis des personnes impliquées dans l’entreprise. Il est admis que pendant l’enquête, la discrétion prime (pour protéger le processus), mais une fois l’enquête terminée, de nombreuses entreprises communiquent au plaignant et à l’accusé un résumé des conclusions. Cela permet de clore la démarche de manière transparente en interne et de justifier les mesures prises (sanction de l’harceleur présumé, ou au contraire, classement sans suite si rien n’est établi). Bien que la loi n’impose pas formellement cette communication, elle est recommandée par le guide pratique du Ministère du travail de 2019 sur le harcèlement et par divers experts, car elle contribue à donner confiance dans le traitement des alertes. Dans notre affaire, l’arrêt ne précise pas si le salarié licencié avait eu accès au rapport d’enquête avant son départ, mais on sait qu’il a dû en obtenir une partie en cours de procédure judiciaire (puisqu’il a pu constater quelles pièces manquaient). Une meilleure transparence en amont aurait peut-être permis d’éviter la rupture contentieuse en éclairant toutes les parties sur les faits établis ou non.

En définitive, la transparence de la procédure d’enquête – entendue comme l’absence de dissimulation d’information pertinente – est désormais posée comme une exigence juridique par la Cour de cassation. Un manquement à cette exigence expose l’employeur à voir son enquête dévoyée de sa force probante. Par contraste, une enquête menée avec rigueur et dont les résultats sont entièrement et clairement présentés aura toutes les chances d’être prise en considération par le juge comme un élément sérieux.


Confidentialité et protection des personnes lors de l’enquête


Protection de l’anonymat et de la vie privée :

La confidentialité est un impératif lors des enquêtes internes, pour encourager la libération de la parole et protéger les personnes impliquées. Les témoins ou victimes potentielles n’accepteront de témoigner librement que s’ils ont l’assurance que leurs déclarations ne seront pas divulguées au-delà du cercle restreint des enquêteurs et décideurs. De même, le salarié mis en cause bénéficie du respect de sa présomption d’innocence et de sa réputation tant que les faits ne sont pas avérés. Dans l’affaire en question, plusieurs témoins n’avaient témoigné qu’à condition de rester anonymes. L’employeur, pour respecter cet engagement, a choisi de ne pas verser certains comptes rendus d’entretiens au dossier disciplinaire ni au débat judiciaire, invoquant la volonté de ces salariés de garder l’anonymat. Ce souci de confidentialité est légitime en soi, mais il a été mal géré juridiquement : la cour d’appel, suivie par la Cour de cassation, a estimé que l’employeur aurait pu anonymiser ces témoignages au lieu de les soustraire entièrement aux discussions. En effet, il existe des moyens de concilier la confidentialité et le contradictoire, par exemple en retirant les noms et tout élément identifiant des documents avant de les communiquer. Ne rien produire du tout au prétexte de l’anonymat revient à priver le juge d’éléments possiblement cruciaux. La Cour souligne que l’employeur n’a pas justifié pourquoi une telle anonymisation était impossible, et elle approuve le raisonnement selon lequel on peut suspecter que les pièces non produites l’ont été parce qu’elles étaient défavorables à la thèse de l’employeur.


Délimitation de la confidentialité :

L’arrêt apporte donc une précision importante : la confidentialité ne doit pas servir de paravent excessif. Certes, la confidentialité demeure essentielle pendant l’enquête (pour éviter les représailles ou la collusion), et même après, il est compréhensible de vouloir protéger l’identité des témoins. Cependant, dès lors que l’enquête aboutit à une décision contestée en justice, l’exigence d’un procès équitable prend le dessus : on ne peut conserver secrètes des pièces déterminantes. La vie privée des témoins doit être respectée (article 9 du Code civil), mais la Cour de cassation indique qu’il faut rechercher un équilibre avec le droit à la preuve du salarié accusé. En l’espèce, l’employeur arguait que révéler l’identité de certains témoins porterait une atteinte disproportionnée à leur vie privée, mais il n’a pas convaincu les juges puisqu’il n’avait pas tenté l’alternative de la communication partielle anonymisée. La solution implicite est la suivante : il est possible de préserver la confidentialité (identités, données sensibles) tout en fournissant le contenu factuel des témoignages. Faute de quoi, la pièce peut être écartée ou sa non-production se retourner contre l’employeur. À noter que le RGPD s’invite aussi dans ce débat : ici, le salarié avait demandé l’accès à ses courriels professionnels et l’entreprise le lui a refusé, probablement par crainte qu’il n’obtienne des informations sur l’enquête ou sur les plaignantes. La Cour de cassation a jugé ce refus illicite, affirmant que les emails professionnels du salarié constituent ses données personnelles auxquelles il a droit d’accéder. Cela signifie que la protection des données personnelles ne doit pas être invoquée à tort pour bloquer l’accès à des éléments utiles à la défense du salarié.


Confidentialité tout au long du processus :

Par ailleurs, la confidentialité concerne aussi la conduite même de l’enquête au quotidien. L’employeur doit veiller à ce que les informations sur l’enquête ne se diffusent pas injustement dans l’entreprise : seules les personnes qui ont besoin d’en connaître (les enquêteurs, les témoins interrogés, les représentants du personnel impliqués) devraient être informées. Toute fuite ou divulgation pourrait porter atteinte aussi bien au mis en cause (atteinte à sa réputation si les accusations se répandent alors qu’elles ne sont pas prouvées) qu’aux plaignants (risque de représailles ou de mise à l’écart). Ainsi, le principe de confidentialité exige une certaine étanchéité de l’enquête interne. La Défenseure des droits, dans son rapport de 2025, recommandait de garantir une « stricte confidentialité des informations recueillies » et d’éloigner le salarié mis en cause pendant l’enquête pour protéger la victime présumée. Ces mesures visent à créer un climat de sécurité pour tous les acteurs.

En conclusion, la décision du 18 juin 2025 invite les employeurs à trouver le juste équilibre entre confidentialité et transparence. Il est impératif de protéger l’identité et les droits des témoins, mais sans aller jusqu’à compromettre les droits de la défense du salarié mis en cause ni entraver la manifestation de la vérité. Ne pas respecter cet équilibre expose l’employeur à des risques juridiques : soit l’enquête sera jugée incomplète et sa valeur annulée (si trop de secret), soit l’employeur pourra être critiqué pour manquement à son obligation de sécurité ou pour atteinte à la vie privée (si la confidentialité n’est pas assez respectée). La confidentialité bien gérée signifie : recueillir les témoignages de façon discrète, anonymiser autant que possible les données personnelles lors de l’exploitation des résultats, et limiter la divulgation des informations au strict nécessaire dans le cadre du contradictoire judiciaire.


Apports de l’arrêt par rapport à la jurisprudence antérieure

L’arrêt du 18 juin 2025 s’inscrit dans la lignée d’une jurisprudence en construction sur les enquêtes internes, tout en apportant des précisions nouvelles sur certains points :

Confirmation du pouvoir d’appréciation des juges du fond : La Cour de cassation réaffirme nettement que l’évaluation de la valeur probante d’une enquête interne relève de l’appréciation souveraine des juges du fond. Ce principe n’est pas nouveau, mais il est ici appliqué avec force : la Haute Cour entérine le fait que la cour d’appel a pu, en toute légalité, écarter le rapport d’enquête comme insuffisant. Cela contraste avec certaines décisions antérieures (par ex. Cass. soc. 1er juin 2022) où la Cour de cassation avait cassé des arrêts d’appel qui avaient rejeté des enquêtes internes trop vite. En 2022, la Cour semblait protéger la recevabilité des enquêtes internes en disant aux juges de ne pas les exclure d’emblée. En 2025, elle montre l’autre versant : oui, l’enquête interne est recevable, mais elle peut être jugée insuffisante si incomplète ou peu fiable. C’est une clarification d’équilibre : le juge doit tout examiner, puis il est libre d’en apprécier le poids.

Exigence d’intégralité et de contradictoire clairement énoncée : Un apport notable de cet arrêt est d’avoir formulé expressément que l’utilisation d’un rapport d’enquête interne suppose qu’il soit intégralement versé aux débats et soumis à la discussion contradictoire. La jurisprudence antérieure l’avait suggéré, mais peut-être pas avec autant de relief. Par exemple, un arrêt du 29 juin 2022 (n° 21-11.437) laissait entendre qu’un rapport pouvait servir de preuve à condition d’être produit en entier et débattu contradictoirement. L’arrêt de 2025 consacre cette exigence comme un standard : transparence, intégralité et contradictoire sont désormais des garanties minimales. C’est un message clair aux employeurs et aux juges du fond sur la méthode à suivre.

Priorité à la preuve loyale et complète : La Cour de cassation insiste plus qu’auparavant sur la notion de preuve “complète, loyale, non sélective” issue d’une enquête. Si la jurisprudence de 2021-2022 tolérait qu’une enquête ne soit pas parfaite (audition seulement des plaignants, enquête menée en interne par la DRH, etc.), l’arrêt de 2025 vient nuancer : ces circonstances ne la rendent pas irrecevable, mais elles peuvent affecter sa force si, in fine, l’ensemble paraît tronqué ou biaisé. L’idée qu’un rapport d’enquête « n’est pas en soi une preuve suffisante » s’il est partiel est un énoncé marquant de la Cour. C’est un rappel que le doute profite au salarié en matière disciplinaire, surtout lorsque l’employeur n’apporte pas une preuve robuste et complète de la faute. En ce sens, l’arrêt apporte une clarification par l’exemple : il montre comment un faisceau de petites irrégularités (témoignages uniques, pièces manquantes, extraits tronqués) peut, mis bout à bout, enlever tout crédit à une enquête.

Conciliation confidentialité/contradictoire – approche inédite : Sur l’anonymat des témoins, l’arrêt innove en quelque sorte. Jusqu’alors, peu de décisions de la Cour de cassation avaient traité de la manière de concilier la protection des témoins avec l’exigence de preuve. Ici, la Cour entérine la solution de l’anonymisation des témoignages : l’employeur aurait dû communiquer les comptes rendus en masquant les noms. C’est une invitation implicite aux employeurs à recourir à cette technique, plutôt que de soustraire purement et simplement des éléments au débat. Cet aspect est particulièrement bienvenu car il répond à une problématique fréquente des enquêtes internes (comment utiliser un témoignage anonyme en justice ?). Désormais, on sait que la Cour de cassation attend une recherche de solution (telle que l’anonymisation ou la déposition écrite confidentielle) plutôt qu’un refus de produire la preuve.

Confirmation du droit d’accès du salarié à ses données (RGPD) : Bien que ce volet ne soit pas directement lié aux exigences de l’enquête interne elle-même, il s’agit d’un élément conjonctif de la décision. La Cour de cassation, pour la première fois, affirme expressément que les emails professionnels d’un salarié sont ses données personnelles et qu’il peut y avoir accès postérieurement, en application de l’article 15 RGPD. Cette solution, saluée par certains auteurs, est en léger décalage avec la position de la CNIL mais consacre le droit à la transparence de l’employé sur les informations le concernant. Indirectement, cela renforce l’idée qu’un salarié mis en cause a le droit de savoir quels éléments (y compris contenus dans ses propres courriels) ont pu être utilisés dans l’enquête ou la décision le concernant. On perçoit ici une tendance de fond : un salarié doit pouvoir obtenir toute la “matière” de l’enquête le concernant, ce qui rejoint les exigences de contradictoire et de transparence sous un autre angle.

En synthèse, l’arrêt du 18 juin 2025 n’est pas une révolution jurisprudentielle, mais il consolide et précise la jurisprudence antérieure. Il trace les contours d’une enquête interne acceptable : ni rejetée d’office (elle peut constituer une preuve recevable), ni acceptée les yeux fermés (elle doit remplir des critères de qualité et d’équité). La Cour de cassation offre ainsi aux praticiens un cadre de référence plus net pour évaluer ou conduire ces enquêtes. À l’avenir, on peut y voir une incitation à normaliser les pratiques d’enquête interne, éventuellement par un texte ou au moins par le biais de guides professionnels, afin d’éviter l’insécurité juridique actuelle soulignée par plusieurs auteurs.


Implications pratiques pour les employeurs et risques en cas de manquement

Au vu de cette décision, les employeurs doivent redoubler de vigilance lors de la conduite d’enquêtes internes, particulièrement si celles-ci peuvent déboucher sur un licenciement disciplinaire. Voici les principales implications pratiques et les risques associés en cas de non-respect des exigences posées par la Cour de cassation :

Enquêter est un devoir, mais bien enquêter est un impératif : En premier lieu, rappelons qu’en cas de dénonciation de harcèlement (moral ou sexuel), l’employeur a l’obligation légale de réagir et de mener une enquête diligente, en vertu de son obligation de sécurité (articles L.4121-1 et L.4121-2 du Code du travail). Ne pas enquêter du tout serait gravement fautif et pourrait justifier des condamnations (pour manquement à l’obligation de protection). Cependant, l’arrêt souligne qu’une enquête bâclée ou biaisée ne protège pas l’employeur : si celle-ci sert de fondement à une sanction, elle sera passée au crible par le juge. Il en résulte que les employeurs ont tout intérêt à formaliser un protocole interne d’enquête respectant les principes de loyauté, d’impartialité, de contradictoire ultérieur, etc. Des chartes ou guides internes peuvent être élaborés à l’appui des recommandations existantes (Club des Juristes, Défenseur des droits, ANI 2010 sur le harcèlement, etc.).

Choix des enquêteurs et formation : Il est recommandé de confier l’enquête à des personnes compétentes et impartiales. En pratique, cela peut vouloir dire faire intervenir un cabinet externe spécialisé ou constituer une équipe interne ad hoc incluant éventuellement un représentant du personnel formé. Évitez de nommer comme enquêteur une personne hiérarchiquement liée à l’une des parties ou impliquée dans les faits. Former les enquêteurs aux techniques d’audition et aux biais à éviter est un investissement précieux. Un enquêteur impartial et bien formé saura recueillir la parole sans l’orienter et documenter fidèlement les faits, ce qui renforcera la solidité du rapport final.

Documenter et conserver toutes les pièces de l’enquête : Du point de vue probatoire, l’employeur doit veiller à conserver l’intégralité des éléments obtenus lors de l’enquête (notes d’entretien, emails, documents divers) afin de pouvoir les produire en cas de litige. Ne rien jeter ni cacher : même ce qui pourrait sembler anodin ou défavorable pourrait devoir être communiqué. Si l’affaire se judiciarise, l’employeur doit être prêt à verser aux débats l’ensemble du rapport et des annexes, après avoir éventuellement occulté les informations identifiantes. Cette exhaustivité est indispensable pour éviter toute accusation de preuve tronquée. La pratique consistant à ne produire que les témoignages à charge et à omettre ceux qui disculpent est à proscrire absolument – elle a, dans cette affaire, coûté à l’employeur le contentieux (licenciement jugé sans cause réelle et sérieuse). En cas d’éléments manquants sans justification, le juge pourra en déduire que ces éléments cachés vous étaient défavorables.

Respecter la confidentialité, mais sans faire obstacle à la preuve : Les employeurs doivent trouver des moyens de protéger l’anonymat des témoins tout en respectant le contradictoire. Cela signifie mettre en place des mesures comme : recueillir des témoignages écrits signés et conserver une version anonymisée pour la production en justice, ou demander aux témoins s’ils accepteraient que leur témoignage soit transmis de manière anonyme. Informer clairement les témoins en amont que, si l’affaire va en justice, leur témoignage pourrait être communiqué de façon anonyme aux avocats et juges, peut aider à gérer leurs attentes. En tout état de cause, refuser de produire un témoignage clé au nom de la confidentialité expose l’employeur à perdre sur le terrain de la preuve. En revanche, s’il démontre qu’il a pris toutes les précautions (anonymisation, etc.), le juge sera plus enclin à accepter la production du témoignage et à en tenir compte. Côté risques, il faut noter qu’un manquement à la confidentialité (par ex. dévoiler le nom d’une victime sans son accord) peut entraîner des poursuites pour atteinte à la vie privée, ou une détérioration du climat social (perte de confiance des salariés dans le dispositif d’alerte). A contrario, une confidentialité trop opaque peut mener à l’inefficacité de la sanction disciplinaire (preuve irrecevable) et même à des dommages & intérêts pour procédure vexatoire si le salarié estime ne pas avoir eu accès aux éléments le concernant.

Veiller à la qualité des comptes rendus et conclusions : Un point pratique ressort de l’arrêt – il est important que les comptes rendus d’entretiens soient fidèles et complets. Les enquêteurs devraient idéalement faire relire ou cosigner leurs comptes rendus par les témoins, afin d’éviter toute contestation ultérieure sur le contenu. Les conclusions du rapport d’enquête doivent être détaillées : énumérer les faits avérés, ceux qui ne l’ont pas été, les éléments de preuve à l’appui, etc. Un rapport trop vague ou purement conclusif aura peu de poids. En cas de licenciement, la lettre de motivation du licenciement pourra utilement rappeler les principaux faits établis par l’enquête, sans se contenter de renvoyer au rapport global (ce qui serait insuffisant juridiquement). Cela montrera que la décision de l’employeur s’appuie sur du concret. En somme, soigner la rédaction du rapport et des supports écrits est crucial : ce sont eux qui seront disséqués par le juge.

Anticiper la phase contentieuse : Les employeurs devraient anticiper qu’en cas de contentieux, le doute profite au salarié. Cela signifie qu’en cas de zones d’ombre ou d’éléments contradictoires, le juge inclinera en faveur du salarié (licenciement sans cause réelle et sérieuse). Il est donc de l’intérêt de l’employeur de construire un dossier le plus solide possible dès la phase d’enquête. S’il y a un risque que certains faits ne puissent être confirmés, l’employeur doit en être conscient : licencier sur la base d’un faisceau trop léger l’expose à perdre en justice. Il vaudra parfois mieux, si l’enquête est trop incertaine, opter pour une sanction moins sévère qu’un licenciement (ou à tout le moins, ne pas invoquer la faute grave sans preuves tangibles). Dans l’affaire présente, l’employeur a licencié pour faute grave un salarié ancien sur la base d’accusations non recoupées – le résultat a été coûteux : indemnités pour licenciement abusif et dommages & intérêts.

Risques financiers et réputationnels en cas de non-respect : Si les exigences posées ne sont pas respectées, l’employeur encourt plusieurs risques. D’abord, la requalification du licenciement en licenciement sans cause réelle et sérieuse, avec à la clé les indemnités correspondantes (qui, selon l’ancienneté et la taille de l’entreprise, peuvent atteindre des montants significatifs, sans compter les salaires intermédiaires éventuels). Ensuite, comme dans cette affaire, le salarié peut obtenir des dommages & intérêts pour préjudice moral s’il démontre que la procédure a été menée de façon vexatoire ou déloyale (ici, le caractère humiliant/vexatoire a été retenu du fait des circonstances de l’enquête et du licenciement). Par ailleurs, un défaut de loyauté ou de respect du contradictoire peut conduire le juge à écarter purement et simplement le rapport d’enquête des débats – l’employeur se retrouvera alors sans preuve solide des griefs, ce qui garantit sa défaite sur le bien-fondé du licenciement. Enfin, il ne faut pas négliger les risques en termes d’image et de climat social : une enquête interne mal conduite, perçue comme une “chasse aux sorcières” ou comme inéquitable, peut entamer la confiance des salariés dans les dispositifs d’alerte et de traitement des comportements inappropriés. Ceci pourrait dissuader les victimes de se manifester, ou au contraire inciter les salariés accusés à systématiquement attaquer en justice, sachant que l’employeur gère mal ces situations.

En conclusion, l’arrêt du 18 juin 2025 sonne comme un avertissement et un guide pour les employeurs. Il ne suffit plus de diligenter une enquête interne pro forma ; il faut qu’elle réponde à des standards de sérieux, d’équité et de complétude. Faute de quoi, non seulement l’objectif de prévention des harcèlements ne sera pas atteint, mais l’employeur s’expose à perdre sur le terrain juridique. À l’inverse, en respectant les exigences de droits de la défense, de loyauté, d’impartialité, de transparence et de confidentialité, l’entreprise pourra non seulement mieux protéger ses salariés (victimes comme mis en cause) mais aussi sécuriser ses décisions disciplinaires. Cet arrêt invite donc à professionnaliser les enquêtes internes – ce qui pourrait passer, à terme, par une évolution des textes ou par la généralisation de bonnes pratiques formalisées – afin que ce vide juridique actuel soit comblé par un cadre clair, au bénéfice de tous.


Complément :

Cassation, ch. soc., 29 juin 2022, n° 21-11.437;
Cour de cassation, ch. soc., 17 mars 2021, n° 18-25.597;
Recommandation du Défenseur des droits (décision cadre du 5 février 2025)

Toutes confirment la tendance vers un encadrement accru des enquêtes internes, entre liberté de preuve pour l’employeur et garanties fondamentales pour le salarié.