Inaptitude : quand le régime « AT/MP » s’applique ou pas!
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Laur de cassation rappelle que le régime protecteur accident du travail / maladie professionnelle (AT/MP) lors d’un licenciement pour inaptitude ne joue que si deux conditions cumulatives sont réunies au jour de la rupture : (1) l’inaptitude a, au moins en partie, une origine professionnelle, et (2) l’employeur en a connaissance au moment du licenciement. À défaut, l’inaptitude est traitée comme non professionnelle : pas d’indemnité compensatrice de préavis ni d’indemnité spéciale doublée au titre de l’article L.1226-14.
1) Ce que décide l’arrêt du 10 septembre 2025
La Cour valide une ligne constante : la reconnaissance CPAM d’une maladie professionnelle n’emporte pas, à elle seule, la preuve que l’inaptitude est d’origine professionnelle. Le juge prud’homal doit caractériser le lien entre AT/MP et inaptitude et vérifier la connaissance de l’employeur à la date du licenciement. Autrement dit, pas de régime AT/MP sans ces deux éléments cumulés au jour J. Cour de Cassation
Pour la pratique, on retiendra donc un controle en deux temps :
(1) origine pro (au moins partielle) de l’inaptitude
(2) connaissance par l’employeur à la date de la rupture
2) Pourquoi c’est clé pour l’entreprise (enjeux financiers)
Inaptitude d’origine professionnelle (AT/MP) : droit à une indemnité compensatrice égale au préavis + une indemnité spéciale de licenciement égale au double de l’indemnité légale (sauf régime conventionnel plus favorable). Base : L.1226-14.
Inaptitude non professionnelle : pas d’indemnité compensatrice de préavis au titre de L.1226-14 ; seule l’indemnité légale/conventionnelle est due.
Dans les deux cas : si, un mois après l’avis d’inaptitude, le salarié n’est ni reclassé ni licencié, reprise du salaire obligatoire. (AT/MP : L.1226-11 ; non pro : L.1226-4).
3) Comment apprécier la « connaissance » de l’employeur ?
La Cour a précisé en 2025 que les règles protectrices s’appliquent lorsque l’inaptitude a (au moins partiellement) une origine AT/MP et que l’employeur en avait connaissance au moment du licenciement. La reconnaissance CPAM n’est pas une condition ; c’est la connaissance effective au jour J qui compte.
Indicateurs usuels de connaissance à consigner dans le dossier (appréciés in concreto par les juges) :
- Déclaration d’AT effectuée par l’employeur ;
- Avis d’inaptitude (ou échanges avec le service de santé au travail) mentionnant l’origine AT/MP ;
- Notification de prise en charge AT/MP reçue avant la rupture ;
- Echanges écrits du salarié signalant l’origine avant la notification.
Ces éléments ne se substituent pas à l’analyse des faits par le juge, mais objectivent la connaissance au jour du licenciement.
4) Effets de bord fréquents (à anticiper)
Reconnaissance CPAM postérieure au licenciement : elle n’a pas d’effet rétroactif pour imposer le régime AT/MP si l’employeur n’avait pas connaissance au jour J. Cour de Cassation
Avis d’inaptitude silencieux sur l’origine : rester prudent ; documenter vos diligences (questions au SST, pièces CPAM). Le défaut de traçabilité affaiblit la position de l’employeur.
5) Check-list « avant de notifier un licenciement pour inaptitude »
Relire l’avis d’inaptitude : restrictions, impossibilité de reclassement, mentions éventuelles d’origine.
Inventorier les indices de connaissance (AT déclaré, décisions CPAM, courriers, etc.).
Qualifier l’inaptitude au jour J : pro ou non pro.
Tracer vos recherches de reclassement (périmètre groupe, aménagements, consultation CSE).
Calculer les indemnités selon la qualification (L.1226-14 le cas échéant).
Respecter le délai d’1 mois : à défaut de reclassement/rupture, reprise du salaire (L.1226-11 / L.1226-4).
6) Modèle d’« encadré juridique » à intégrer dans vos procédures
Référence clé : Cass. soc., 10 sept. 2025, n° 23-19.841 (conditions cumulatives : origine pro + connaissance de l’employeur au jour du licenciement).
Rappel de portée : Cass. soc., 5 mars 2025 (principe de connaissance au jour J, indépendamment de la décision de la CPAM).
Textes : L.1226-14 (indemnités AT/MP), L.1226-11 (reprise du salaire à 1 mois – pro), L.1226-4 (idem – non pro).
7) Questions rapides des dirigeants/DRH
Q. La CPAM a reconnu la MP après la rupture : dois-je appliquer L.1226-14 ?
R. Non, sauf si vous aviez déjà connaissance de l’origine professionnelle au jour du licenciement. Sinon, l’inaptitude reste non professionnelle pour le volet indemnitaire de la rupture.
Q. Le salarié avait déclaré un AT, mais sans décision CPAM au moment de la rupture : que faire ?
R. Apprécier votre connaissance : si des éléments sérieux établissent que vous saviez le caractère professionnel, appliquez le régime AT/MP ; sinon, régime non pro, en gardant la preuve de votre analyse.
8) Recommandations opérationnelles (à intégrer dans vos workflows)
Fiche « origine de l’inaptitude » : case à cocher AT/MP connue/pas connue, pièces et dates à l’appui.
Demande écrite au SST quand l’avis est muet (sans solliciter d’info médicale).
Déclencheur automatique J+25 après l’avis d’inaptitude pour arbitrer reclassement / rupture / reprise du salaire.
Archivage : déclarations AT, notifications CPAM, preuves des recherches de reclassement, avis CSE.
Références (sources officielles)
Arrêt principal : Cass. soc., 10 septembre 2025, n° 23-19.841, site de la Cour de cassation. Cour de Cassation
Portée de la “connaissance” : Cass. soc., 5 mars 2025 (principes cumulatifs : origine pro + connaissance au jour J), Légifrance. Légifrance
Textes : C. trav. art. L.1226-14 (indemnités AT/MP), L.1226-11 (reprise du salaire à 1 mois – pro), L.1226-4 (règles de rupture & reprise du salaire – non pro).
