Cassation - Durcissement de l’appréciation de la conscience du danger.
Publié le

La jurisprudence connaît un tournant notable en matière de reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur, avec l’arrêt rendu par la Cour de cassation le 9 janvier 2025 (n° 22-24.167). Cette décision marque une évolution rigoureuse dans l’interprétation de la conscience du danger par l’employeur, redéfinissant les contours de sa responsabilité en cas d’accident du travail.
Un rappel du cadre juridique
La faute inexcusable de l’employeur, consacrée par l’article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, suppose que celui-ci avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver. Jusqu’alors, la jurisprudence exigeait une démonstration assez précise de cette « conscience du danger », parfois difficile à établir pour les victimes.
L’affaire à l’origine de l’arrêt
Dans l’affaire jugée le 9 janvier 2025, un salarié avait été gravement blessé après une chute de grande hauteur sur un chantier d’étanchéité. L’accident s’était produit alors qu’il utilisait une échelle inadaptée, choisie de sa propre initiative.
La Cour d’appel avait écarté la faute inexcusable, estimant que le comportement du salarié — en l’occurrence l’utilisation d’un matériel non conforme — rompait le lien de causalité et exonérait l’employeur de sa responsabilité.
La Cour de cassation ne l’a pas entendu de cette oreille. Elle casse la décision au motif que l’employeur, en sa qualité de garant de la sécurité, devait s’assurer que les conditions d’intervention étaient pleinement sécurisées et que les équipements mis à disposition ou utilisés étaient adaptés. Le fait que le salarié ait agi de manière autonome n’éteint en rien l’obligation de prévention pesant sur l’employeur.
Une tendance jurisprudentielle défavorable aux employeurs
Cet arrêt s’inscrit dans un mouvement plus large de durcissement jurisprudentiel. Alors que certaines décisions antérieures admettaient l’exonération de l’employeur en cas de maladresse isolée du salarié ou de non-respect délibéré des consignes de sécurité, la position actuelle semble avoir évolué vers une responsabilité quasi-objective.
Par exemple, dans un arrêt du 31 octobre 2002 (n° 01-20.445), la Cour de cassation avait considéré que la maladresse d’un salarié pouvait exonérer l’employeur de sa responsabilité. De même, le 10 juin 2003 (n° 01-21.200), elle avait jugé que le non-respect des consignes de sécurité par le salarié pouvait écarter la faute inexcusable de l’employeur.
Cependant, des décisions plus récentes témoignent d’un revirement. Le 8 avril 2021 (n° 20-11.935), la Cour de cassation a retenu la faute inexcusable de l’employeur malgré le comportement imprudent du salarié, estimant que l’employeur aurait dû anticiper le risque et mettre en place des mesures préventives adéquates. citeturn0search2
En d’autres termes, même en présence d’une faute du salarié, la responsabilité de l’employeur n’est plus aussi facilement écartée, surtout lorsqu’un manquement à l’obligation de sécurité peut être démontré en amont. Ce revirement est porteur d’un message clair : la sécurité des salariés ne peut être déléguée, ignorée ou contournée, même indirectement.
Un durcissement dans l’appréciation de la conscience du danger
La haute juridiction précise que la conscience du danger est présumée lorsque le risque est inhérent à l’activité ou prévisible dans le contexte d’intervention. Autrement dit, l’absence de mesure préventive adéquate suffit à caractériser la faute inexcusable, peu importe si l’employeur avait une connaissance effective du risque précis ayant causé l’accident.
Ce raisonnement traduit une volonté de resserrer l’interprétation des obligations de sécurité, et d’imposer aux employeurs un contrôle renforcé sur les conditions de travail réelles, y compris sur les comportements individuels des salariés.
Les implications pratiques pour les employeurs
Avec cette décision, la Cour envoie un signal fort : la négligence en matière de sécurité, même passive ou involontaire, ne sera plus tolérée. Cette position incite les employeurs à :
Renforcer la traçabilité des contrôles de sécurité et des vérifications techniques,
- Documenter systématiquement les actions de prévention,
- Mettre à jour régulièrement les équipements et former les salariés à leur usage sécurisé,
- Anticiper et encadrer les comportements à risque, même occasionnels ou individuels,
- Réévaluer leurs protocoles d’intervention, notamment sur les chantiers ou zones à risque,
- Mettre à jour REGULIEREMENT son Document Unique d'Evaluation des Risques Professionnels (DUERP)
Conclusion
L’arrêt du 9 janvier 2025 constitue une inflexion majeure en matière de faute inexcusable de l’employeur. En balayant l’argument de la faute individuelle du salarié, la Cour de cassation renforce l’exigence de vigilance et de contrôle permanent pesant sur l’employeur. Une jurisprudence qui fait de la prévention un impératif absolu, et de la conscience du danger, une obligation présumée dans toute situation à risque.